Les émotions, un jardin à cultiver

La plupart des philosophies, des psychologies et des religions se sont posé la question de la gestion des émotions. Celles-ci sont à la fois redoutées et recherchées. Rivières qui irriguent et vivifient tout notre être, elles nous submergent parfois de manière dramatique. Elles sont pourtant le socle de nos expériences psychiques. Etre amoureux ou écouter une musique serait bien pauvre sans émotions.

Vivre ses émotions comme un témoin qui se régale des aventures qui lui arrivent mais ne s’y identifie pas, et savoir les « digérer », nous permet de choisir nos couleurs émotionnelles et de nous en nourrir comme on cultive un jardin plein de couleurs.

 

Le coût de la répression

L’émotion est une interface instantanée avec le monde, qui permet de s’adapter pour gérer les circonstances. C’est une réponse spontanée aux affects, qu’ils soient agréables ou agressants. Son intensité peut dépasser tout contrôle volontaire. C’est pourquoi la pédagogie, la religion ou la politique ont souvent choisi de condamner ces expressions de vie. Nous aurons donc culturellement tendance à diminuer leurs manifestations. Beaucoup de personnes ont une courbe émotionnelle plate ou restreinte.

Mais la répression des émotions a un coût élevé pour l’organisme. Une émotion refoulée est un poison à long terme. Pour bloquer une émotion, on doit tout d’abord contracter ses muscles, surtout ceux de la respiration. La personne reste en inspir, bloque son ventre, la gorge est nouée, les muscles fléchisseurs et les mâchoires crispées. On voit très bien cela lorsqu’un enfant est grondé par un parent. Il déploie des efforts herculéens pour retenir ses sanglots, le corps raidi, la bouche tentant de rester fermée.

Si la répression est chronique, la personne deviendra coupée de ses émotions, mais au prix d’une perte de potentiel énorme (blocages respiratoires, viscéral et musculaire), et de symptômes secondaires importants. Pour exemple, le blocage du cœur dans la suractivité favorise l’infarctus, la colère réprimée l’ulcère, la répression de la tristesse l’arthrose. Psychologiquement ce n’est pas mieux : la non possibilité d’exprimer la colère pourra amener à une dépression, la tristesse refoulée fermera le cœur… En premier lieu l’anxiété va se faire sentir. Car si l’énergie émotionnelle qui vient des viscères (comme le dit clairement « sortir ses tripes »), reste bloquée sous le diaphragme, une boule désagréable va apparaître au plexus, sans forme, ni solution. C’est l’angoisse : une pression mal définie émotionnellement.

 

Les réponses spécifiques aux émotions

A l’inverse, quand l’énergie monte jusqu’à la poitrine et le cœur, elle prend une forme émotionnelle plus consciente qui appellera une réaction particulière. Après cette forte expression et les actions adéquates qu’elle entraîne, viendra une sensation de libération et d’apaisement satisfait. Chaque émotion a son importance et amène un comportement et des réactions spécifiques.

– La peur nous signale que nous sommes en danger et nous protège : celui qui ne respecte pas sa peur prend des risques. Elle demande des limites et du contenant. Naturellement, on tient fermement un enfant qui a peur.

– La tristesse appelle le contact et la tendresse. Elle nettoie les blessures et ouvre le cœur. Elle appelle l’empathie. Il ne faut pas la confondre avec les pleurs sans fin de désespoir, qui épuisent le corps sans résolution.

– La colère décuple les forces pour pousser les obstacles. Elle demande de l’expansion. Face à une personne en colère, on a tendance à se reculer. La compréhension, la reconnaissance, la réduisent magiquement.

– La rage correspond à une période plus infantile. Elle vient lorsque les besoins fondamentaux ne sont pas remplis. Elle a besoin de contact et de pouvoir rejeter en même temps. L’asthme en est une traduction somatique. Comme le bébé refuse la nourriture qui vient trop tard, la rage peut détruire ce qui est très précieux.

– La joie est l’émotion royale du cœur. Elle veut se partager et aime les grands mouvements : sauter de joie. Interdire aux enfants de bouger, que ce soit directement ou en les mettant devant l’ordinateur, diminue leur capacité à la ressentir.

Pour le bébé, puis pour l’enfant, ce sont les adultes qui permettent de contenir les émotions en lui donnant les réponses adaptées décrites ci-dessus. Si ce contenant n’est pas là, les émotions n’auront pas de fluidité, oscillant de l’étouffement à l’explosion. Trop d’émotion n’est pas bon pour le corps non plus.

 

La catharsis émotionnelle

Beaucoup de thérapies, déjà avec Freud, et surtout dans les années 60, ont cherché la catharsis. Le patient est invité à se remémorer des expériences difficiles enfouies et à épancher sa rage et ses larmes. Exprimer la frustration et la colère est quelque chose qui stimule beaucoup l’énergie vitale, donnant sur le moment une sensation de soulagement et de force. Mais ces expressions répétées se sont avérées non satisfaisantes. La personne a tendance à rester dans une rage réactive, amenant à une situation de désespoir. Il est alors apparut l’importance de retrouver des émotions de satisfaction et de bonheur, plutôt que de revivre le drame. L’expression émotionnelle n’apparait plus comme un but mais une étape aléatoire sur le chemin des retrouvailles avec soi-même.

 

La digestion émotionnelle par le corps

La Psychologie Biodynamique a apporté une autre dimension fondamentale à la gestion de l’émotion : la connaissance et les outils pour accompagner la digestion de l’émotion par le corps. L’émotion doit être suivie de psycho-péristaltisme : une fonction particulière des intestins qui se traduit par des petits bruits du ventre qui apparaissent dès que l’on se relâche. Le langage populaire qui dit « je n’ai pas digéré ce qu’il m’a dit » montre que la blessure reste active si elle n’est pas « digérée ». Il est bon, après que la puissance émotionnelle ait activé les courants énergétiques, que cette intégration se fasse au niveau physiologique. En Biodynamique, nous savons que l’émotion va éveiller une sensation vitale exceptionnelle, et notre travail est de retrouver, à travers elle, une circulation énergétique, une intégration des informations émergeant du fond de l’être, afin de reconnecter l’âme, et laisser s’installer le bien-être.

 

Vivre ses émotions tel un témoin émerveillé

Une clé pour contenir nos émotions, est de s’en dés-identifier. D’en devenir le témoin les relativise et les régule, comme nous laissons des enfants jouer tout en empêchant les excès ou les dangers. Nous passons de « Je suis triste » à « la tristesse me traverse». Nous pouvons alors savourer les émotions comme on regarde une tempête, avec la conscience de ce mystère de la vie. Explorer la tristesse, la joie ou la peur, savourer l’expérience inattendue et non contrôlée est d’ailleurs souvent ce que nous cherchons dans un bon film. Vivre ses émotions comme un témoin qui se régale des aventures qui lui arrivent mais ne s’y identifie pas, et savoir les « digérer », nous permet de choisir nos couleurs émotionnelles et de nous en nourrir comme on cultive un jardin plein de couleurs. On savoure ainsi la vie.