Disparition de Clover Southwell, figure de la Biodynamique

Clover Southwell, notre chère Clover, l’une des pionnières de la Pychologie Biodynamique, est partie tranquillement ce 15 décembre à Londres à l’âge de 88 ans.

Jusqu’en 2018, Clover enseignait toujours à l’Ecole de Psychologie Biodynamique. Un partenariat de coeur de plus de 30 ans. Cette grande dame de la psychothérapie, quoi que devenue frêle sur ces dernières années, dégageait une force extraordinaire et une légéreté bienveillante.

Elle présentait notamment la végétothérapie – sa spécialité – lors des rassemblements d’été ou d’hiver de Yenne. Ces interventions minimales mais si justes étaient connues pour leurs effets puissants. 

Nous lui rendons hommage ce jour avec un texte de François Lewin, co-directeur de l’Ecole de Psuchologie Biodynamique et en reproduisant  une interview qu’elle avait accordée à l’APPB en décembre 2004. Clover était interrogée par Philippe Brest et Hilaire Assaiante.

Elle évoque son enfance, sa rencontre avec Mona Lisa et Gerda Boyesen, ses premiers pas comme thérapeute.

Au moment où elle nous quitte, la dernière phrase de cet entretien sonne comme un message qu’elle nous lègue : « Prenez confiance dans l’essence individuelle de chacun, l’énergie profonde à la fois personnelle et universelle. Ecoutez-vous plus que vous ne parlez, observez-vous plus que vous n’agissez, étonnez-vous des petits changements qui arrivent. En somme, prenez plaisir à être avec vos clients. Continuez la Biodynamique ». 

 

Clover était une grande dame : l’hommage de François Lewin

Clover était une grande Dame, discrète mais laissant une marque de lumière à son contact. Dans mon image, elle est une flamme pure et diaphane.

Elle était d’une grande spiritualité, aimant le chant, la Nature, les rencontres, le partage, mais aussi la solitude. Elle savait goûter les bonnes choses. Au niveau caractère, elle avait une intégrité extraordinaire, une grande lucidité, en même temps qu’une curiosité à l’autre, sans attente ni jugement préconçu. Dans nos échanges, mes souvenirs sont sa quête de partages profonds et sincères, n’ayant jamais peur de chercher à clarifier ce qui était là.

Je l’ai rencontrée pour la 1° fois à Londres en 1978, au Centre de Gerda Boyesen, durant ma formation. Son enseignement était précis dans une progression simple et structurée. Elle est venue ensuite enseigner dès 1990 dans notre Ecole en France. Les échos des étudiants étaient toujours très positifs, disant leur forte expérience et évolution lors de son animation.

Profondément respectueuse, elle était curieuse de l’Être de l’autre. Pleine d’humour et de délicatesse, elle savait aussi être contenante et stricte sur les débordements. Je me rappelle l’avoir vue dans une séance avec un patient en pleurs, qui ne parlait pas, dire très tendrement « mais moi, pauvre thérapeute, j’ai besoin que tu me dises ce qui se passe ». Mais aussi limiter un étudiant qui n’arrêtait pas de poser des questions, en lui disant au bout d’un certain temps « je ne te répondrais plus, car tu n’écoutes pas mes réponses ».

C’est ainsi qu’elle travaillait. Elle menait les séances de thérapie très simplement, avec des interactions minimum pour un effet maximum.

Dans ses séjours en France, lors de nos rencontres d’été, elle était toujours prête à l’aventure, que ce soit du parapente, des randonnées de montagne, des descentes en rivière. Lors d’un chavirement en canoë où elle s’était cognée la tête sur un rocher, elle répondit à nos craintes « ça va, le rocher est très doux ». Quel humour, quelle légèreté et profondeur à la fois.

Merci Clover d’avoir croisé notre route et d’avoir été notre amie. Tu a été une source d’enrichissement pour nous tous.

Paix à ton âme.

François Lewin, Directeur de l’Ecole de Psychologie Biodynamique, France

 

L’interview de Clover Southwell (2004)

Peux-tu nous parler de ton enfance, de ta famille, d’où viens-tu Clover ?

Je suis née en Angleterre en 1935, de parents que je pourrais décrire comme assez intellectuels et ouverts pour l’époque, surtout ma mère. Ils étaient plus ou moins athées, et surtout ils ne supportaient pas le faux, l’hypocrisie. Mon père était professeur à l’université. Il jouait avec ses enfants, c’était un père présent. Nous étions 4 filles, avec des écarts d’âges très inégaux, 7, 5 et 4 ans, j ‘étais la plus jeune. Je garde la mémoire d’une famille, heureuse et fonctionnelle. C’est en tout cas, l’image de notre famille avant la guerre. Puis la guerre est arrivée. Il y avait le risque que l’Angleterre soit envahie par l’Allemagne. J’avais alors 5 ans, avec ma mère et deux de mes sœurs nous sommes parties pour l’Amérique, mon père est resté à Londres avec l’aînée. J’étais très bien aux Etats- Unis, nous y sommes restées 5 années.

Pour ma mère, cela a été une très grande transformation. En Angleterre elle avait de l’aide, une cuisinière, là-bas il lui a fallu tout faire pour la famille, notamment gagner de l’argent. Elle y a trouvé sa personnalité, sa force. Par la suite, revenir à Londres, reprendre sa place dans le mariage, fut très difficile. Beaucoup plus tard, c’est en thérapie que j’ai réalisé que la mémoire d’une famille heureuse, qui s’était inscrite en moi, était celle d’avant la guerre, celle de mes cinq premières années.

Ceci était un aspect notable de ma vie, cette distance qu’il y avait entre la réalité et le concept, l’idée.

Quand nous sommes rentrées, ce fut trois années très désagréables. Londres était totalement meurtrie, li y avait eu les bombardements, les gens étaient traumatisés. J’étais très consciente de n’avoir pas participé à cette grande expérience de ma nation. Un peu comme une chance qui culpabilise, le manque de n’avoir pas fait quelque chose avec mes compatriotes.

L’ambiance à la maison était très différente, mes sœurs étaient parties, je me suis retrouvée seule avec mes parents, je les sentais moins heureux qu’avant. Nous avons emménagé à Oxford. De 13 à18 ans j’y ai fréquenté une école où j’étais très heureuse, l’école est alors devenue plus importante que la famille, c’était une autre force pour moi. Puis est venu le temps de l’université.

 

Femme parlant et gestuelant en extérieur.

Tu as fait quel type d’études ?

C’est avec grande difficulté que j’ai fais un choix, celui des langues classiques. C’était absurde, vu que je n’avais pas encore appris le Grec. Il a fallu que je commence à 18 ans.

Il en a résulté que je ne pouvais pas vraiment lire le Grec et tout pour moi s’est fait dans la difficulté, sans plaisir. Mais l’idée était : » Bien sûr que tu vas faire ça, tu as les compétences, » sans me permettre de sentir que cela ne me convenait pas du tout et que vraiment ce ne sont pas les livres qui m’intéressent. Pendant ces années-là, j’ai participé à un projet de correspondance avec des réfugiés qui étaient arrivés en Allemagne après la guerre. Puis un jour, ma soeur et moi  nous avons décidé d’aller rencontrer nos correspondants. C’était très intéressant et touchant. Aussi vers la fin des études, c’était évident pour moi, que je voulais trouver un travail avec les réfugiés. C’était bien sûr lié au fait que je n’avais pas participé à la guerre. C’était en 1959, les organisations d’aide commençaient à se retirer un peu partout et c’était difficile de trouver du travail.

J’ai alors pu collaborer à un chantier de construction de logements. Ce fut une phase superbe de ma vie. C’était tellement libérateur d’arriver dans le monde du chantier où il y avait d’autres valeurs, d’autres intérêts. C’était vraiment une libération pour moi de sortir du monde académique.

Des valeurs plus existentielles ?

Oui, on n’est pas très intéressé par les choses académiques sur un chantier. Ca été un moment crucial pour moi, comme celui de la guerre et des réfugiés.

 

Deux femmes souriantes en photo noir et blanc.

Comment es-tu arrivée jusqu’à Gerda Bovesen ?

Après l’expérience des chantiers, je suis rentrée à Londres. J’ai fait plusieurs travails sans réelle importance pour moi, entre autre comme « texteur » dans la publicité, mais c’était clair que ce n’était pas mon truc, je ne m’y investissais pas. À cette époque, je ne savais pas bien quel serait mon avenir professionnel. c’était en 1970. J’étais assez ouverte à toutes idées. J’ai alors pris un temps sabbatique pour partir vivre quelques mois à San Francisco. J’y ai découvert ce qu’ils appelaient là-bas, « une Université Libre « .

C’était comme un catalogue ou des formateurs proposaient divers ateliers complètement gratuits. Quelqu’un me décrivit un Encounter marathon week-end, ce qui me sembla très intéressant. Je participais a l’un d’eux, et ce fut extraordinaire, un tournant complet dans ma vie. Pour la première fois, je rencontrais quelque chose qui était en lien avec le potentiel humain.

C’était assez sauvage, bien diffèrent de ce que !’on fait aujourd’hui. Marathon veut dire simplement que le processus ne s’arrêtait pas la nuit, cela continuait non-stop du vendredi au dimanche. Encounter signifie que les conventions étaient complètement inversées. Dans la société conventionnelle de cette époque, le but était d’être bien éduqué, maniéré, ce qui voulait dire faire de grandes concessions. Les règles des Encounter Groupes étaient : dire ce que tu sens, et sentir ce que tu dis. C’était comme atterrir sur une autre planète. C’était très excitant et cela me convenait bien mieux, je n’étais pas très à l’aise dans la société conventionnelle.

Quand je suis retournée en Angleterre, j’ai cherché à savoir s’il y avait quelque chose de similaire. Cela venait juste de commencer.
II y avait une organisation à Londres, 11Quaesitor11 qui organisait des groupes de diverses sortes. Je les ai pratiques très intensément pendant trois années. C’est dans l’un de ces groupes que j’ai eu pour la première fois l’idée de travailler moi-même dans ce domaine.

C’était en 1973, j’étais dans les groupes  QuaesitorI depuis deux ans et demi quand quelqu’un m’a souffle l’idée que le meilleur moyen pour commencer était de faire une thérapie. C’était une idée complètement nouvelle, car les groupes n’étaient pas du tout comme de la thérapie. De toutes les méthodes expérimentées dans les groupes, c’étaient celles qui prenaient en compte le corps qui m’intéressaient le plus. Aussi j’ai cherché dans ce sens, c’est là que l’on m’a parlé des Boyesen.

A cette époque, c’était Mona Lisa qui était la seule disponible à Londres. J’ai donc fait des séances avec elle pendant les neuf mois qui ont précédé son départ pour la Hollande.

Parallèlement à mes séances, après quelque temps, elle commença a m’enseigner le maniement du stéthoscope.

J’ai alors tout de suite eu beaucoup de patients pour m’exercer, parmi les personnes rencontrées dans les groupes. Elles étaient prêtes pour découvrir une nouvelle technique.

Dans cet environnement, ce fut très facile pour moi de trouver mes premiers clients payants, d’autant qu’avant les Boyesen, j’avais déjà pratique des massages d’ordre généraux dans les différents ateliers de groupe.

Ensuite en 1974, j’ai rejoint les groupes que Gerda a démarrés au Centre Churchill a Londres. Je me suis aussi inscrite au groupe de II Distribution Energetique II qu’animait Ebba. Et de par mon expérience préalable avec Mona Lisa, j’ai très vite assimilé ce travail. Ainsi, assez rapidement j’ai moi-même commencé a àenseigner la II Distribution Energetique II au Centre Churchill.

Puis en 1975, Gerda déménagea à I’Acacia House et annonça le début d’une période très excitante.

Elle y enseignait la végétothérapie et tous les autres aspects du travail Biodynamique hors des massages. C’est alors aussi que nous avons appris le Deep Draining. Durant ce temps, j’étais aussi une sorte d’assistante pour les groupes.

Je participais comme stagiaire, mais lorsqu’un participant avait besoin d’un massage pour intégrer le travail, je le lui donnais. Ces années ont été très riches.

Groupe de personnes assises en cercle intérieur vintage.

Quels ont été les autres moments clefs de ton cheminement intérieur ?

Un des plus importants a été ma rencontre avec le Christianisme. J’avais un ami, nous nous étions rencontrés dans un groupe, nous n’étions pas très proche, mais tout de même j’étais en contact avec lui depuis plusieurs années.

II avait eu dans sa vie des moments psychotiques, de type maniaco-depressif. II avait très peur de l’hôpital pour y avoir été traité aux électrochocs à l’adolescence. Un jour ou il a senti qu’il risquait d’avoir une crise de délire, il m’a demandé de le conduire dans ma petite maison a la campagne, me disant que là-bas il pourrait se guérir, se récupérer. Je l’ai laissé la, après 48 heures passées en sa compagnie dans une très grande difficulté. Je suis revenue une semaine plus tard avec un collègue du groupe, nous l’avons trouvé absolument delirant.

Ayant conscience de son état, il nous a demandé de l’emmener a Ia police, ii voulait être contenu. Nous l’avons donc conduit au commissariat, et de la il s’est retrouvé à l’hôpital.

Lorsque je lui ai rendu visite, j’ai prévenu les médecins qu’il avait très peur des thérapies de choc, et qu’il n’en voulait pas.

Plus tard, je me suis dit que j’aurais pu gérer la situation bien mieux que je ne l’avais fait, que ma base de conscience n’était pas assez profonde. C’est comme cela que j’ai commencé à chercher. Je ne pouvais dire quoi, mais j’ai cherché !

Je connaissais bien les prières chrétiennes pour les avoirs pratiques 10 minutes chaque jour dans l’école que j’avais fréquentée. La parole Que ta volonté soit faite me touchait beaucoup, beaucoup……

C’est par cet évènement que j’ai débuté avec les Quakers. C’était bon pour moi, mais je désirais encore plus d’informations. Alors est venu le moment où je me suis laisse baptiser, et ca… , ca été très, très bon.

Les miracles décrits dans les Evangiles ressemblent absolu­ment aux transformations et aux guérisons que !’on voit en Biodynamique. Ce qui me touche très fort dans le Christianisme c’est le pardon, mais absolution est peut-être le mot juste.

II y a cette prière : Donne-moi l’absolution que je puisse te servir à nouveau. L’idée de commencer a nouveau sans le poids des péchés, de lâcher tout cela, est très touchante. Je trouve que ca va dans le même sens que la Biodynamique. Je voudrais rajouter ici qu’annoncer à ma mère que je fréquentais l’Église a été la chose la plus difficile que j’ai jamais eu à dire a quelqu’un de toute ma vie ! C’était tellement contre les idées de cette famille. (Rires)

Et que s’est-il passé ?

Oh, elle a été super ! Elle a été absolument prise, mais elle a dit : comme c’est intéressant ! et je savais qu’elle le pensait vraiment. Elle m’a posé des tas de questions, elle était simplement heureuse parce qu’elle voyait que ça me rendait heureuse. D’ailleurs quand j’ai commencé à participer à ces Encounter groups 11, elle a dit qu’elle aurait dû elle aussi faire ce genre de choses. Vous voyez, elle était vraiment très ouverte.

Tu as été une des premières biodynamiciennes, tu nous as tous formés. Qu’est-ce qui te pousse à enseigner aujourd’hui ?

Cela me fait plaisir. Je trouve ce travail très beau. J’aime le partager avec les autres.

D’autres ont pris des chemins un peu différents, toi tu es restée purement Biodynamique…

Pour moi, c’est très convaincant.

As-tu un conseil à donner aux nouvelles générations Biodynamiques ?

Prenez confiance dans l’essence individuelle de chacun, l’énergie profonde à la fois personnelle et universelle. Ecoutez- vous plus que vous ne parlez, observez-vous plus que vous n’agissez. étonnez-vous des petits changements qui arrivent. En somme, prenez plaisir à être avec vos clients. Continuez la Biodynamique. Continuez le journal !

Propos recueillis et retranscrits par Philippe Brest et Hilaire Assaiante

Femme âgée souriant, portrait en noir et blanc.